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Le 3 juin 1974, dans la matinée, la petite Marie-Dolorès Rambla est enlevée par un homme alors qu'elle jouait avec son petit frère, Jean, en bas de la Cité Saint-Agnès, à Marseille. Pierre Rambla, le père, avertit la police. Le petit Jean et un garagiste, Eugène Spinelli, affirme que l'enfant est montée dans une Simca 1100 gris-clair.

Le même jour, à 12 h15, soit 1h 20 après l'enlèvement, une Peugeot 304 coupé grise, au carrefour de la Pomme (près de la cité phocéenne), grille le stop et rentre dans la voiture de Vincent Martinez. Le coupé, malgré la violence du choc, repart en direction de Toulon. Les époux Aubert, qui arrivent peu après sur les  lieux de l'accident, prennent en chasse le chauffard pour relever son numéro d'immatriculation. Quelques instants plus tard, ils aperçoivent la Peugeot 304 garée sur le bas-côté de la RN8 bis,  et un homme s'enfuyant dans les bois. Ils relèvent le numéro la voiture, qu'ils vont transmettre à la police.

A 17 heures, à deux kilomètres du carrefour de la Pomme, Mohamed Rahou et son contre-maître, Mr Guazzone, aide un jeune homme, Christian Ranucci, dont la voiture, une Peugeot 304 coupé, est embourbée dans une champignonnière. Aux interrogations des deux hommes sur la présence de cette voiture dans une galerie, Ranucci répond qu'il est venu pique-niquer. A 18 heures, il repart dans la direction Nice.

Au matin du 4 juin, alors que la presse annonce l'enlèvement de l'enfant, les époux Aubert font le lien avec l'accident et la poursuite de la veille. Ils préviennent la police en indiquant que le chauffard s'est enfui dans la colline avec un "paquet volumineux". La zone décrite par les époux est fouillée par la gendarmerie qui dans une galerie de la champignonnière, découvre un Pull-over rouge, dont l'odeur va amener un chien policier à un corps d'enfant, sous des branchanges, quelques mètres plus loin, près de la route. La petite fille a été poignardée plusieurs fois, mais n'a pas subi de violences sexuelles.

Le lendemain, le 5 juin, Christian Ranucci est arrêté chez sa mère, à Nice. Le jeune homme avoue le délit de fuite, mais nie être impliqué dans l'enlèvement et le meurtre de l'enfant. Le 6 juin, à l'Evêché, à Marseille, le commissaire Allessandra décide de confronter le niçois à Jean Rambla et Eugène Spinelli, les deux témoins qui ont vu le kidnappeur. Ranucci n'est pas reconnu !  Juste après, les époux Aubert, après maintes hésitations, disent reconnaître le jeune homme. Leur déposition est confuse, on passe d'un "paquet volumineux" initial à "une petite fille" !

Le lendemain, Christian Rannucci passe aux aveux, il avoue l'enlèvement et le meurtre de l'enfant ! Il se rétractera un peu plus tard, alléguant qu'il a fait ses aveux sous la torture.

Le 9 mars 1976, le procès s'ouvre aux assises d'Aix en Provence dans un climat très lourd. Maître Lombard et Le Forsonney n'arriveront pas à sauver la' tête de leur client, qui sera condamné à mort, et exécuté le 28 juillet 1976, la grâce ayant été rejettée par Valery Giscard d'Estaing. Un incident macabre a entaché cette annonce. En effet, dans un premier temps, l'AFP, avait annoncé que le Président avait accepté la grâce ...pour affirmer le contraire, peu après, alléguant une erreur de transmission !!

L'écrivain Gilles Perrault, reprenant le dossier de l'affaire, va mettre le doigt sur de nombreuses incohérences de l'enquête:

- les deux témoins principaux, Jean Rambla et Eugène Spinelli qui sont les seuls à avoir vu le kidnappeur de Marie Dolorès, n'ont pas reconnu Christian Ranucci. La juge, Ilda de Martino, chargée du dossier, n'a même pas convoqué les deux témoins ...ce qui est assez incroyable pour une affaire de cette importance !

- les deux témoins principaux n'ont pas, non plus, reconnu la voiture de Ranucci, un Peugeot 304 coupé, mais affirment qu'ils ont vu une Simca 1100. Or si on peut mettre en doute la parole du petit Jean, qui s'y connaît pourtant fort bien en modèle de voiture, pour son âge, il est plus difficile d'attaquer le témoignage du garagiste Eugène Spinelli !!

- le témoignage des époux Aubert a varié au cours de leur déposition. Ils n'ont pas reconnu Ranucci lors du "tapissage", pour le désigner lorsqu'ils ont été en sa présence. Du "paquet volumineux", ils sont passés "à l'enfant à la voix fluette." De plus, les Aubert affirment que le chauffard est sorti par la portière conducteur, or, après expertise, il apparaîtra que celle-ci avait été bloquée par l'accident !

le "pull-over rouge", retrouvé dans la champignonnière et qui a conduit le chien au corps de l'enfant, n'appartient pas au niçois, il est bien trop grand pour lui et de plus, sa mère attesta que son fils détestait la rouge, et qu'il ne possédait aucun vêtement de cette couleur.

- le fameux couteau, arme du crime, retrouvé sur les indications de Ranucci. Perrault semble démontrer qu'il y a eu une manipulation des aveux du jeune niçois, de la part de la Police. Le couteau, découvert le 6 juin, est déjà sur le procès-verbal de saisie du 05 juin ....

- des témoignages nombreux, dont celui de Mme Mattei, et du jeune Alain Barroco, attestèrent qu'un homme possèdant une Simca 1100, habillé d'un pull-over rouge, avait essayé, à la même époque et dans certaines cités de Marseille, d'attirer des enfants avec un modus operandi curieusement identique à l'enlèvement de Marie Dolorès. L'homme, d'après Jean Rambla, avait parlé de la perte d'un petit chien noir, qu'il fallait l'aider à retrouver. Procédé qui sera repris pour la tentative d'enlèvement,  du petit Alain Barroco (qui ne reconnut pas Ranucci.) quelques jours avant. Mais cette piste sera écartée par la Police.

- Ranucci était bien à Marseille, la veille de l'enlèvement. Le jeune niçois, dans un 1er temps avait affirmé avoir passé la nuit à Salernes. Peu après, il revint sur cette première affirmation et précisa qu'il s'était pris une "bonne biture" à Marseille. Les policiers ne le crurent pas. Or, la contre-enquête menée par Perrault, prouva que la veille, Ranucci eut un léger accident en accrochant un chien, à Marseille, et qu'il donna à un témoin de la scène, Daniel Moussy, son numéro de téléphone pour régler les problèmes d'assurance. Pourquoi ce mensonge de la première déclaration ? Certainement que Ranucci a eu peur que cet élément soit à charge, dans un premier temps. Il avait peut être honte d'étaler sur la place publique le fait qu'il ait traîné dans les bars louches du quartier de l'Opéra, près du Vieux Port de Marseille, la veille, pour se prendre une biture et peut-être, pourquoi pas, de passer du bon temps avec une "dame" de l'Opéra !

- au cours du Procès et cas unique dans la procédure judiciaire française, l'avocat général, de manière stupéfiante, reprit la parole après le plaidoyer de la défense (Ce qui ne s'était j'amais vu dans les annales judiciaires !), pour parler de nouveaux PV de police, inconnus des défenseurs de Ranucci, qui, soi-disant, apportaient des éléments nouveaux !! Cet incident aurait du amener à l'invalidation du procès et à la tenue d'un autre !

Coupable ou innocent, pouvait-on envoyer un jeune homme à la mort, après une enquête et une instruction aussi bâclées?

 

Alors pourquoi cette condamnation à mort ?

- la force de l'aveu ! Ranucci a avoué, la messe est dite ! Pourquoi creuser une affaire dont l'accusé principal a avoué ? Du reste, cet aveu a eu lieu au bout de deux jours d'interrogatoire et avec des méthodes musclées. Le Forsonney, son avocat, rencontrant son client pour la 1ere fois, fut surpris par son visage tuméfié, et par les déclarations décousues de Ranucci qui affirmait que les policiers lui avaient prouver par A + B qu'il était nécessairement coupable.

- la personnalité de Ranucci. Entre une naïveté déconcertante, une franchise péremptoire et une paranoïa inquiétante, le jeune niçois restera un mystère pour son défenseur. Le Forsonney avait l'impression que le jeune niçois ne saisissait pas vraiment la peine qu'il encourait, étant sûr d'être innocenté. Son attitude lors du procès, où il fut parfois étrangement absent, d'autres fois sûr de lui et péremptoire, dégagea une image antipathique de l'accusél et laissa perplexe ses défenseurs qui avaient l'impression de le défendre contre lui-même !

- les dérives de la procédure inquisitoire à la française. En France, le juge a un pouvoir énorme. Selon sa conviction, il peut mettre l'accent sur certaines pistes et en écarter d'autres. Or, Ilda de Martino, est intimement convaincue que Ranucci est coupable ! Elle va systématiquement écarter les éléments à décharge pour se concentrer sur ceux à charge ! Elle n'entendra que 5 fois le jeune niçois, un peu court pour envoyer quelqu'un à l'échaffaud, et n'entendra même pas les deux témoins principaux !! Si le procès avait eu lieu dans un pays anglo-saxon, dont la procédure est accusatoire, la défense aurait eu accès à toutes les pièces du dossier, notamment à ses fameux PV de dernières  minutes et aurait pu diligenter une enquête sur ce fameux homme au pull-over rouge à la Simca 1100.

- la conjoncture sécuritaire de l'époque. La France a peur ! C'est sur cette incise que Roger Gicquel commença son Journal de 20 heures, prononcée en référence au meurtre du petit Philippe Bertrand, par Patrick Henry, un mois avant le procès Ranucci ! Mauvais présage pour le jeune niçois, l'opinion publique étant chauffée à blanc. Le ministre de l'Intérieur de l'époque, Michel Poniatowski affirmant même que la peine capitale était souhaitable pour ces tueurs d'enfants ! Des manifestations pour la peine de mort s'étaient  même déroulées dans quelques villes et l'atmosphère autour du procès de Ranucci, à Aix en Provence, ressemblait à un lynchage organisé.

 

Derniers rebondissements :

 

-la malédiction se poursuit sur la famille Rambla. Le 12 février 2005,  la police retrouve le corps sans vie de Corinne Beidl,  dirigeante d'une société de restauration. Un employé avoue le meurtre de sa patronne, pour un différent professionnel, il s'appelle ...Jean Rambla, le frère de la petite Marie Dolorès !

- janvier 2006 : le tueur en série, Michel Fourniret était dans la région marseillaise, en 1974, d'après des révélations de la presse belge, et il était le propriétaire d'une Peugeot 304 coupé ! La Provence affirme même avoir des archives photos attestant de la présence de Fourniret lors du Procès Ranucci !

- le 1er mars 2006, le fameux "Pull-over rouge" est retrouvé par hasard, au greffe de la cour d'assise des Bouches du Rhône. Des analyses ADN ont dans un premier temps étaient prévues, puis abandonnées devant le peu de chance de trouver des éléments à charge ou à décharge, dans la mesure où le Pull est passé entre beaucoup de mains !

Aujourd'hui, la mère de Christian Ranucci, Héloïse Mathon, malade mais toujours vivante, a souhaité confier ses intérêts à l'avocat Jean-Denis Bredin, pour que le procès Ranucci soit réouvert et le jeune niçois réhabilité !

 

 

Sources :

 Le pull over rouge de Gilles Perrault, 1978.

L'honneur perdu de Valery Giscard d'Estaing, de Gilles Perrault. Pourquoi Giscard qui avait affirmé peu avant être contre la peine de mort, a-t-il envoyé à l'échaffaud Ranucci ? Certainement à cause de la conjoncture de l'époque, et du meurtre du petit Philippe Bertrand par Patrick Henry. L'opinion publique chauffée à blanc réclamait la loi du talion, VGE lui a donné le jeune niçois ...

Le fantôme de Ranucci, ce jeune condamné qui me hante de Jean-François le Forsenney, 2006.

L'ombre de Christian Ranucci, de Gilles Perrault, 2006.

Faites entrer l'accusé,  excellent documentaire sur France 2.

http://www.associationranucci.org/ , excellent site crée par des étudiants de Sciences Po.

http://www.affaires-criminelles.com/dossier_9-2.php Une bonne synthèse sur l'affaire.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Christian_Ranucci Un compte rendu de l'affaire sur Wikipedia.

Tag(s) : #Histoire
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